Cette histoire abracadabrante de cartel du pain est loin d’être terminée, mais au moins, elle avance. Ceux qui ont acheté du pain entre 2001 et 2021 peuvent désormais s’inscrire en ligne pour obtenir une indemnisation. Une somme alléchante de 100 $ par personne a été évoquée devant le juge.

      
  •  
  •  

Nous avons tous payé notre pain au moins 1,50 $ trop cher pendant des années, selon le Bureau de la concurrence. L’heure du remboursement est arrivée.

Il sera possible de soumettre sa réclamation à compter d’aujourd’hui sur le site www.ReglementPainQuebec.ca, ai-je appris. La date limite est le 12 décembre. Ne tardez pas, car vous risquez d’oublier. Aucune preuve d’achat n’est requise, ça va de soi.

Loblaw – maison mère de Maxi, Provigo et Pharmaprix – avait admis en 2017 avoir participé à un stratagème de fixation des prix du pain baptisé « convention 7/10 » ⁠1. Cette stratégie illégale aurait permis aux entreprises ayant participé au complot d’empocher des milliards de dollars.

On sait depuis un an que Loblaw s’est entendue pour verser 404 millions aux consommateurs, question d’en finir avec les actions collectives. Mais rien n’avait bougé depuis. En ajoutant les 96 millions déjà distribués sous forme de cartes-cadeaux de 25 $ il y a quelques années, le règlement totalise 500 millions. Au cabinet LPC Avocats, membre du consortium canadien qui pilote le dossier, on est convaincu qu’il s’agit de la somme la plus élevée jamais payée par une entreprise dans une histoire de collusion au pays.

Reste à voir combien chacun d’entre nous obtiendra. Peut-on vraiment espérer un virement de 100 $ ?

La somme obtenue par chaque consommateur de pain dépendra du nombre de réclamations enregistrées. On sait aussi que les Québécois se partageront 22 % des 404 millions mis de côté par Loblaw, soit près de 89 millions. Le reste ira dans les autres provinces.

Maintenant, rappelez-vous ce qui s’est produit dans le dossier de Dollarama et des écofrais. Pas moins de 1,28 million de Québécois s’étaient inscrits pour recevoir leur part du 1,35 million sur la table. Au départ, il était question d’une indemnité de 5 à 11 $ par personne, peut-être même 15 $. Au bout du compte, victime de son succès, la somme promise a fondu à… 1 $. Un maigre et ironique montant, vous en conviendrez. Le juge a d’ailleurs refusé cette distribution d’argent⁠2.

Supposons maintenant que les 89 millions de Loblaw intéressent autant de monde, soit 1,28 million de Québécois. Ce serait logique. Chacun se retrouverait avec 69 $.

En réalité, le calcul est toutefois plus compliqué, car ceux qui ont déjà obtenu la carte-cadeau de 25 $ – ils sont très nombreux – obtiendront une somme amputée d’autant. Il en restera donc plus pour les autres. Mais d’un autre côté, il faudra retirer du montant global les frais administratifs et les honoraires des avocats. Au Québec, les deux cabinets qui pilotent le dossier (LPC et Renno & Vathilakis) réclament près de 21 millions. La Cour ne leur a pas encore dit oui.

Malgré toutes les inconnues, vous aurez compris qu’on sera bien loin du prix d’un simple paquet de bagels. L’estimation de 100 $ n’est pas si farfelue. Ça vaut assurément le coup de prendre deux minutes pour s’inscrire en ligne.

Par la suite, ne manquez surtout pas d’encaisser l’argent qui vous sera versé par la firme Concilia au moyen d’un virement Interac. Ce n’est pas futile de le rappeler. L’avocat Joey Zukran, de LPC Avocats, m’a donné en exemple l’action collective contre Apple concernant sa garantie étendue AppleCare. « On a réglé pour 24 millions et il reste 11 millions » dans la cagnotte, dit-il, notamment parce que des sommes n’ont pas été encaissées, certains croyant avoir affaire à une fraude.

Bien sûr, cette saga n’est pas terminée, car d’autres entreprises sont visées par l’action collective : Sobeys (IGA), Metro, Walmart, Tigre Géant et Canada Bread. Et à partir de maintenant, Loblaw « devra collaborer » avec les avocats au dossier pour les aider à « obtenir gain de cause contre les autres qui continuent de nier leur participation dans le cartel, se réjouit MZukran. C’est une partie essentielle de l’entente ».

Cette partie du règlement, appelée Annexe D, s’étend sur plus de huit pages. Le juge y précise dans le fin détail la liste des documents que Loblaw devra transmettre concernant ses ventes et ses coûts, notamment. L’épicier est aussi tenu d’aider les avocats à comprendre les données, à déchiffrer le jargon et les acronymes, à reconnaître les éléments pertinents et à expliquer la « chronologie des interactions » entre les commerçants.

Le géant ontarien est même appelé à identifier les employés et les dirigeants qui, à sa connaissance, « ont participé aux décisions de tarification dans l’industrie du pain emballé ».

Pour ne pas être la seule enseigne à casquer, Loblaw va certainement se faire un plaisir d’aider les avocats à bâtir la preuve qu’une stratégie de gonflement des prix à l’échelle canadienne ne peut se faire tout seul dans son coin. J’attends déjà avec impatience le prochain chapitre de ce roman qui s’écrit depuis 2001.